Discours du Président pour Rosh Hachana 2022
Rosh Hashana
Parce que la vie est un jeu de mots
Histoire vraie :
Il y a quelques années de cela, veille de Rosh Hashana, à Paris à une encablure de la synagogue de Copernic Eddie un banquier, juif originaire d’Egypte rentre chez lui après son travail.
Il passe à hauteur de l’avenue Paul Doumer quand il tombe par le plus fortuit hasard sur son ami Didier qu’il n’a pas vu depuis un an et demi.
Du panier de ce dernier dépassent des grenades, des pommes, du miel, du céleri, une courge, des haricots blancs, des betteraves et des dattes…
Eddie reconnait immédiatement les espèces du Seder de Rosh Hashana pour le lendemain soir.
Les deux amis s’embrassent et lèvent leurs yeux au ciel en louant le divine providence qui les a fait se rencontrer en ce début d’année.
Cette histoire somme toute banale nous amène à nous interroger sur le sens de cet étrange rite.
Car en effet il s’agit d’un rite très étrange ou en ce jour du Jugement du monde que ce repas en début d’année qui consiste à manger des mets en les accompagnant de malédictions et de bénédictions et en signe de bonheur pour l’année à venir.
Dans Manger le livre, un livre fondamental de mon ami Gérard Haddad, celui-ci a montré en étudiant les mets servis lors de la fête de Rosh Hashana, que leur nom en hébreux, a la même homonymie que les invocations qu’ils sous-tendent.
Chaque aliment symbolise par un jeu de mot sur la consonance de son nom un souhait pour l’année à venir.
Ainsi quand on prend la datte et après avoir béni le « fruit de l’arbre » on dit :
יְהִי רָצוֹן מִלְּפָנֶיךָ ה’ אֱלֹהינוּ וֵאלֵֹהי אֲבוֹתֵינוּ,
אוֹיְבֵינוּ וְשׂוֹנְאֵינוּ וְכָל מְבַקְשֵׁי רָעָתֵנוּ שֶׁיִּתַּמּוּ
Yéhi ratsone milefanekha Ado-naï Elo-hénou vElo-hé avoténou,
chéyitamou oïvénou vessonénou vekhol mevakché ra’aténou
Puisse être Ta volonté, Éternel notre D.ieu et D.ieu de nos pères,
qu’il y a une fin à nos ennemis, ceux qui nous haïssent et tous ceux qui nous veulent du mal.
Les « dattes », tamarim (תמרים ), liées au mot Tam est terminé תם : « terminer » on dit donc la malédiction : qu’il y ait une fin à nos ennemis, ceux qui nous haïssent et tous ceux qui nous veulent du mal.
Avec cette précision que dans la pensée juive les « ennemis » sont autant les malfaisants qui nous guettent que nos mauvaises pulsions
Les petits haricots blancs (רוביא—לוביא), liés aux mots רב : « nombreux » et לב : « cœur » … pour que nos mérites se multiplient et que Tu nous prennes à cœur.
Le « poireau » (כרתי), lié au mot כרת : « couper », « abattre (un arbre) » … pour que soient abattus nos ennemis.
Le mot « Betteraves » (סלקא) est lié au mot סלק qui signifie « partir », « disparaître » … pour que disparaissent nos ennemis.
La « courge » (קרא) liée au mot קרע : « déchirer » et aussi קרא : « annoncer », « énoncer » … pour que le mal de notre verdict soit déchiré, et que nos mérites soient énoncés devant Toi.
La « grenade » aux supposés 613 grains (autant que de préceptes-misvoth de la Torah)… pour que nous soyons remplis de mitsvot comme la grenade [est remplie de grains].
La « pomme et le miel » (תפוח בדבש) …pour une année bonne et douce comme le miel.
Et enfin l’étonnante tête de poisson ou de bélier… un jeu de mot à elle toute seule en cette tête (rosh) de l’année (ha Shana) alors qu’on dit : « Puisse être Ta volonté, Éternel notre D.ieu et D.ieu de nos pères, que nous soyons à la tête et non à la queue. » … cf. les premiers seront les derniers etc…
Étrange midrash alimentaire, étranges rites du judaïsme que ne peut comprendre que celui qui les pratique dans l’hébreu originaire.
La fête biblique est donc un dictionnaire d’étymologie humaine.
Une naissance du langage qui est mangé dans le rite.
Il s’agit de Manger le livre, selon l’impératif divin à Ezéchiel (Ez 3, 1-3) :
« Et il me dit: « Fils de l’homme, mange ce que tu trouves là, mange ce rouleau et va parler à la maison d’Israël. » J’ouvris la bouche, et il me fit manger ce rouleau. Et il me dit : « Fils de l’homme, tu nourriras ton ventre’ et rempliras tes entrailles de ce rouleau que je te donne »; je le mangeai et il devint dans ma bouche aussi doux que du miel. »… Et l’esprit m’emporta et j’entendis derrière moi le bruit d’un grand tumulte : « Bénie soit la gloire de l’éternel en son lieu! » (comme on dit dans la Amida : Baroukh Shem Kévod mimekomo)
Ce soir nous allons manger donc une pomme trempée dans du miel Qui reste somme toute beaucoup plus digeste qu’une table de marbré ou un rouleau de papyrus ou de parchemin.
Pour que cette année nous soit douce au palais comme à l’oreille.
Cette semaine, le peuple juif entre dans une nouvelle année, et célèbre Rosh haShana, un nouvel an que les rabbins appellent parfois Yom haZikaron, jour de souvenir ou encore Yom haDin, jour du jugement.
Et, précisément au même instant, s’ouvre un temps judiciaire. Débute un procès historique, un temps de souvenir et un temps de jugement qui nous oblige à nous retourner vers ce que nous avons traversé ensemble et à penser ce que cet évènement a fait de nous.
Rosh haShana est appelé Yom haZikaron précisément pour cela : il dit à celui qui envisage l’avenir, tu ne pourras pas Lirot et hanolad, “voir ce qui naît”, sans porter ta mémoire vers ce qui fut. Sans te souvenir.
Les aliments nous rappellent ceci cycle il y a dans le fruit la promesse de l’arbre.
Alors vous qui bénéficient tous aujourd’hui des fruits de notre communauté Je me dois en ma qualité de président de vous rappeler qu’il convient de l’arroser aussi les racines de l’arbre
Comme vous le savez, l’ULIF est uniquement financée environ à 100% par vos cotisations.
Ceci implique que nous devons chaque année compter sur votre générosité afin d’assurer le budget annuel.
J’en profite donc ici pour remercier du fond du cœur tous ceux qui nous soutiennent depuis des années et nous permettent de continuer à offrir à nos membres des événements et des services de grande qualité.
Il ne me reste, pour conclure, que la tâche de vous souhaiter, et de souhaiter à notre communauté, une année aussi douce que la pomme trempée dans le miel
Le shoffar que vous allez entendre n’est pas un instrument de musique préhistorique.
C’est un stimulateur de consciences.
Si à l’instar des 3 sons hachés, nos vies sont parfois décousues et indécises ;
Si les sons saccadés semblables à des pleurs nous rappellent l’urgence de la situation,
Le son discontinu par lequel s’achève la sonnerie est en revanche un symbole d’espoir.
Il incarne à la fois la rigueur, la constance et la sérénité.
Il n’est jamais trop tard pour peu que nous fassions preuve d’honnêteté intellectuelle et que nous prenions la peine de transformer nos engagements en actions concrètes en participant à construire cette communauté pour nous mais surtout pour nos enfants en mettant chacun notre élément
Gageons donc que cette année 5783 qui s’ouvre devant nous soit, pour la communauté juive libérale de JEM Marseille mais bien au-delà pour l’ensemble des marseillais et des citoyens de ce monde, une année de paix, de respect, de dialogue, de tolérance, de projets.
Qu’elle amène avec elle la santé, l’abondance et qu’elle accorde à chacune et chacun d’entre vous ce dont il a réellement besoin !
Que vous soyez tous inscrit dans le livre de la vie !
A tous Shana Tova et Hag Sameah à tous !
Samuel Benhamou – Président de l’ULIF Marseille – 24 septembre 2022